Benoît LABALETTE
Par Benoît Labalette, consultant partenaire de CriseHelp

Retrouvez la 1ere partie de cet article ici

J’ai participé à des dizaines de RETEX (Retours d’Expérience) au cours de ma carrière. Trop souvent, j’en suis sorti avec un goût d’inachevé. On listait des actions, on cochait des cases et parfois on s’autocongratulé, mais on sentait tous que l’essentiel n’avait pas été dit. C’était une discussion de surface, polie, mais stérile. En dix ans sur le terrain, que ce soit comme responsable logistique pour Médecins Sans Frontières (MSF) en Afrique, comme bénévole à la Protection Civile ou comme sapeur-pompier volontaire, j’ai fini par comprendre pourquoi. Nous ne savons pas écouter et nous ne connaissons pas le silence.

J’ai appris, parfois difficilement, que l’outil le plus révolutionnaire pour un débriefing réussi n’était pas un nouveau logiciel ou une nouvelle méthode, mais une compétence ancestrale : l’écoute active.

Ma seconde leçon : le poids des mots proche de la ligne de front en Ukraine

écoute active

Ma seconde prise de conscience s’est jouée à moins de dix kilomètres de la ligne de front, en Ukraine. Nous étions là avec une clinique mobile, pour apporter des soins à ceux qui n’avaient plus accès à aucun service médical. Les explosions étaient régulières. Certaines, si proches qu’on sentait le sol et nos corps vibrer. Avant chaque détonation, un sifflement montait et emplissait l’air jusqu’à saturer l’attention. À chaque impact, je voyais les réactions opposées : certains sortaient fumer une cigarette sans un seul geste de protection, comme si plus rien ne méritait de bouger. D’autres ne quittaient pas le bâtiment, rivés à leurs points d’ancrage. Un même contexte, des écarts immenses dans la façon de l’encaisser.

Mon rôle était de coordonner l’action et de garantir la sécurité de l’équipe. J’ai dû m’astreindre à une réflexion logique alors que mon cœur bondissait à chaque explosion. Pour garder la cohésion, je me suis raccroché aux faits : pas de force militaire visible, aucune explosion constatée dans la vallée en contrebas, évacuation immédiate si la situation évoluait. Ces repères concrets étaient les seuls points stables auxquels nous pouvions nous tenir. Quand mon chef, à distance, m’a demandé en liaison satellite : « Comment tu le sens ? », la question est restée en suspens. Il n’y avait plus de place pour le ressenti brut. Seulement la nécessité de décider.

J’ai fait le tour de chacun, sur le moment, pour vérifier qu’ils pouvaient continuer. Chacun avait ses mots ou son silence. Je les ai écoutés sans jugement et j’ai noté ces expressions, parfois ténues, qui révélaient plus que de longs discours. Cette expérience m’a confirmé qu’en situation extrême, l’écoute active n’est pas un simple outil de confort : c’est un acte de management essentiel. Elle permet de distinguer ceux qui peuvent poursuivre de ceux qui ont atteint leur limite, d’offrir un point d’ancrage face au chaos, et de rappeler à chacun qu’il n’est pas seul avec son ressenti. Même sans promesse de sécurité, le fait d’être entendu change la façon dont on traverse l’épreuve.

Simple ressenti ou bénéfice mesurable de l’écoute active?

1. La fondation psychologique : Carl Rogers et la création d’un climat de croissance

Lorsque Carl Rogers a développé son « approche centrée sur la personne » dans les années 1950, il a révolutionné la thérapie en affirmant que le changement ne venait pas de l’interprétation du thérapeute, mais de la qualité de la relation. Pour lui, l’écoute n’était pas passive ; c’était un acte créateur. Il a identifié trois conditions fondamentales pour qu’une personne se sente suffisamment en sécurité pour explorer ses propres expériences et trouver ses propres solutions :

  • L’empathie : La capacité de percevoir le cadre de référence interne de l’autre avec précision, comme si on était cette personne, mais sans jamais perdre la condition du « comme si ». Ce n’est pas de la sympathie (ressentir pour l’autre), mais une tentative profonde de comprendre le monde de son point de vue.
  • La congruence (ou l’authenticité) : L’auditeur est authentique, sans façade. Il est en accord avec lui-même dans la relation. Cette transparence rassure l’interlocuteur, qui sent qu’il peut lui-même être authentique en retour.
  • Le regard positif inconditionnel : L’auditeur accepte l’autre tel qu’il est, sans jugement. Il valorise la personne, même s’il ne cautionne pas tous ses comportements. Cette acceptation totale libère la personne de la peur d’être jugée et l’encourage à s’explorer honnêtement.

Pour Rogers, le bénéfice était clair : dans ce climat, une personne devient plus ouverte, moins défensive et plus apte à résoudre ses problèmes. Mais cela restait un modèle psychologique. Les neurosciences sont venues, des décennies plus tard, en fournir le « mode d’emploi » biologique.

 

2. La preuve neurologique : quand l’IRM confirme ce que le cœur ressentait

Votre référence à l’étude de Kawamichi et al. (2014) est la pièce maîtresse. Elle fait basculer l’écoute active de la catégorie « soft skill » à celle de « processus neurobiologique ».

Que se passe-t-il réellement dans le cerveau ?

  • Activation du circuit de la récompense : L’étude a montré que lorsqu’une personne se sent écoutée de manière empathique après avoir relaté un événement stressant, son noyau accumbens (une zone clé du circuit de la récompense) s’active. C’est la même zone qui réagit à des stimuli agréables comme la nourriture, une réussite ou un gain financier. Concrètement, se sentir compris procure un plaisir neurologiquement observable. Ce n’est plus un simple « bien-être », c’est une récompense que le cerveau recherche activement.
  • Facilitation de la réévaluation émotionnelle : Le plus fascinant est que cette écoute ne fait pas qu’activer le plaisir, elle modifie la perception de l’expérience négative elle-même. Les participants à l’étude ont rapporté une diminution de leurs émotions négatives après avoir été écoutés. L’écoute empathique agit comme un levier qui aide le cerveau à « recoder » un souvenir, à en diminuer la charge anxiogène et à le reconsidérer sous un angle plus positif ou constructif.
  • Réduction de la réponse au stress : D’autres études montrent que l’empathie et le soutien social peuvent calmer l’amygdale, notre détecteur de menaces. Dans un débriefing post-crise, où le niveau de stress peut être élevé, une écoute de qualité réduit la posture défensive (« on me cherche des poux ») et favorise une posture d’ouverture (« on cherche à comprendre ensemble »).

 

3. L’implication stratégique : l’écoute comme outil de performance

En fusionnant Rogers et les neurosciences, nous pouvons conclure que l’écoute active et empathique n’est pas juste « gentille », elle est efficace.

  1. Elle rend l’apprentissage possible : Un cerveau en mode « défense » (amygdale hyperactive) apprend mal. Un cerveau en mode « récompense et sécurité » est, à l’inverse, dans des conditions optimales pour la neuroplasticité. En créant cet état neurologique positif chez vos collaborateurs lors d’un RETEX, vous leur donnez les moyens biologiques d’analyser une expérience difficile sans être paralysés par l’émotion, et donc d’en tirer de réels enseignements.
  2. Elle ancre les leçons : Les émotions positives facilitent la consolidation de la mémoire. Un débriefing vécu comme une expérience positive et valorisante (grâce à la qualité de l’écoute) a plus de chances de voir ses conclusions mémorisées et appliquées à l’avenir.
  3. Elle bâtit la résilience collective : Sur le plan chimique, ces interactions sociales positives libèrent de l’ocytocine, souvent appelée « l’hormone du lien social ». Chaque séance de débriefing menée avec une écoute de qualité ne sert pas seulement à analyser le passé, elle renforce la cohésion, la confiance et la sécurité psychologique du groupe pour affronter l’avenir.

En somme, vous aviez raison de vouloir dépasser le simple ressenti. L’écoute active n’est pas un acte de bienveillance passif. C’est une intervention ciblée qui modifie l’état cérébral de l’interlocuteur pour le rendre plus calme, plus créatif et plus apte à l’apprentissage. C’est un des leviers de performance les plus puissants et les plus sous-estimés à la disposition d’un leader.

De la technique de débriefing à la compétence de leadership

L’écoute active est bien plus qu’une méthode pour animer un RETEX. C’est une compétence de leadership fondamentale en gestion de crise. Elle permet de prendre le pouls réel de son équipe, de déceler les risques humains et organisationnels avant qu’ils ne deviennent critiques, et de transformer chaque crise en une opportunité de renforcer le collectif. Ma conjointe, le résume parfaitement : « Si tu ne laisses pas le silence exister, tu perds la voix des personnes silencieuses, et ce sont souvent elles qui détiennent les clés que nous cherchons. »

Développer cette compétence au sein de vos équipes est l’un des investissements les plus rentables pour améliorer votre résilience. Chez CriseHelp, nous sommes spécialisés dans la facilitation de RETEX, ne vous étonnez pas si certain sont ponctué de silence, ils permettent de mieux vous écouter.

Nous sommes à votre écoute pour préciser votre besoin sur l’écoute active en gestion de crise.

Nos experts et consultants indépendants sont en mesure de vous accompagner de A à Z dans l’évaluation de vos risques pour anticiper les crises.