En gestion de crise, la confiance est une alliée, mais la complaisance est un poison. L’un des pièges mentaux les plus insidieux pour un dirigeant ou une organisation est le biais du survivant. Il nous conduit à construire nos stratégies de sécurité en nous inspirant uniquement de ceux qui ont réussi, en ignorant la richesse d’enseignements des innombrables échecs qui, eux, ont disparu des radars.
Cette erreur de jugement peut sembler anodine. En réalité, elle fausse notre perception du risque, fragilise nos plans d’urgence et peut transformer un incident gérable en une crise majeure.
Cet article explore comment le biais du survivant met en péril la préparation aux crises et comment développer une lucidité stratégique pour protéger votre organisation.
Comprendre le piège : qu’est-ce que le biais du survivant ?
Le biais du survivant est notre tendance à ne tirer des leçons que des exemples visibles, des « survivants », et à oublier les cas d’échec, bien plus nombreux mais silencieux. Nous basons notre analyse sur des données incomplètes, ce qui nous donne une illusion de sécurité.
L’exemple historique le plus célèbre reste celui des bombardiers durant la Seconde Guerre mondiale. Les militaires voulaient renforcer les avions revenant de mission en blindant les zones les plus touchées par les impacts de balles. Un statisticien leur fit remarquer l’erreur fondamentale : les zones intactes sur les avions revenus étaient en réalité les zones les plus critiques. Les avions touchés à ces endroits ne revenaient tout simplement pas pour en témoigner.
En gestion de crise, la leçon est la même : ce ne sont pas vos succès passés qui révèlent vos faiblesses, mais les échecs que vous n’avez pas encore subis.
L’impact direct du biais sur la préparation et la gestion de crise
Penser qu’un risque est maîtrisé parce qu’il ne s’est « jamais produit ici » est le symptôme principal du biais du survivant. Voici comment il se manifeste concrètement :
- Des plans de crise fondés sur des scénarios trop optimistes : On se prépare à revivre la dernière crise surmontée avec succès, en oubliant qu’on a peut-être simplement eu de la chance. Les facteurs aggravants (absence d’un collaborateur clé, panne matérielle simultanée, etc.) ne sont pas intégrés.
- Une sous-estimation des signaux faibles : Les « presque-accidents » ou les incidents mineurs sont souvent ignorés, voire oubliés. Puisqu’ils n’ont pas conduit à une crise, on les classe sans suite. Pourtant, ce sont les indicateurs les plus précieux des failles réelles de votre système.
- Une allocation des ressources inadaptée : Les budgets de sécurité et de formation sont dirigés vers les menaces déjà connues et maîtrisées. On renforce les portes blindées tout en laissant les fenêtres de la cybersécurité grandes ouvertes, simplement parce qu’aucun cambrioleur n’est encore entré par là.
Trois exemples concrets de biais du survivant en entreprise
Pour mieux saisir le danger, voici des scénarios anonymisés mais fréquents :
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Le mythe de la chaîne d’approvisionnement infaillible. Une entreprise travaille depuis dix ans avec un fournisseur stratégique qui n’a jamais failli. Confiante, elle ne diversifie pas ses sources. Elle ignore les quasi-ruptures de stock ou les tensions logistiques que son fournisseur a subies sans l’en informer. Le jour où une crise géopolitique paralyse ce fournisseur « survivant », c’est toute la production de l’entreprise qui s’arrête net. La crise n’était pas imprévisible ; elle était simplement masquée par les succès passés.
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L’illusion du plan d’évacuation parfait. Une usine réalise avec succès un exercice d’évacuation incendie un mardi à 11h. La direction félicite les équipes et classe le plan comme « validé ». Elle ignore que l’exercice n’a pas testé le scénario de nuit avec une équipe réduite, ni une panne de l’alarme sonore, ni la panique réelle des salariés. Le jour de l’incendie réel, ces failles ignorées transforment l’incident en drame.
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La réponse à la cyberattaque qui rend aveugle. L’équipe informatique d’une PME déjoue brillamment une tentative de phishing. La direction, rassurée par ce succès, décide de reporter les investissements prévus dans une solution de sécurité plus complète. Elle se focalise sur ce cas de « survie » et ignore que des centaines d’entreprises similaires ont été paralysées par des attaques de rançongiciels, bien plus sophistiquées. L’entreprise se croit protégée alors qu’elle est seulement devenue une cible plus facile.
Comment déjouer le biais du survivant et renforcer votre résilience
Lutter contre ce biais cognitif demande une démarche proactive et une véritable culture de la sécurité. Il ne s’agit pas de devenir pessimiste, mais lucidement paranoïaque.
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Organisez des « pré-mortems » et non des « post-mortems ». Au lieu d’analyser une crise après qu’elle a eu lieu, imaginez le pire. Réunissez vos équipes et posez cette question : « Nous sommes dans six mois. Notre projet a totalement échoué / une crise majeure a dévasté l’entreprise. Que s’est-il passé ? ». Cet exercice libère la parole et force à identifier les vraies vulnérabilités en amont.
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Analysez les quasi-accidents et les échecs silencieux. Créez un processus où chaque incident, même mineur, est rapporté et analysé sans culture du blâme. Qu’est-ce qui aurait pu se passer si un facteur avait été légèrement différent ? Cette base de données de « presque-crises » est votre source d’information la plus précieuse.
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Nommez un « avocat du diable » dans vos simulations de crise. Pendant la préparation de vos exercices de crise, désignez une personne ou une équipe dont le rôle officiel est de challenger chaque hypothèse et de défendre le scénario du pire. Cette personne a pour mission de poser les questions dérangeantes : « Et si… ? ».
La résilience se nourrit des échecs, pas seulement des succès
Le biais du survivant est un angle mort dangereux dans la gestion des risques. Se fier aux succès passés pour construire sa sécurité future, c’est comme conduire en ne regardant que dans le rétroviseur. La véritable résilience organisationnelle naît d’une culture de l’humilité et du questionnement.
Il est essentiel d’apprendre à chercher les failles dans ce qui semble fonctionner parfaitement et à écouter les histoires silencieuses de ceux qui n’ont pas survécu.
Chez CriseHelp, nous aidons les organisations à développer cette lucidité. Nos experts vous accompagnent pour diagnostiquer vos vulnérabilités cachées et mettre en place des exercices de crise qui testent réellement vos limites. Préparer son avenir, c’est oser penser à ce qui pourrait échouer.
Nous sommes à votre écoute pour préciser votre besoin.
Nos experts et consultants indépendants sont en mesure de vous accompagner de A à Z dans l’évaluation de vos risques pour anticiper les crises.