Un retard de dix minutes. Une vie perdue. Une administration jugée fautive. Le drame survenu à la prison de La Santé en octobre 2019, et analysé par le Tribunal administratif de Paris le 17 avril 2025, est une illustration tragique d’un écueil majeur en gestion de crise : l’existence d’une procédure de gestion de crise sur le papier, mais son inapplication totale sur le terrain.

Cet échec de coordination nous rappelle une vérité fondamentale : un plan de crise qui n’est pas connu, testé et répété par tous les acteurs impliqués n’est pas un plan. C’est une illusion de sécurité.

L’affaire de La Santé : anatomie d’un échec de coordination

 

Pour comprendre l’importance des procédures, les faits sont éclairants. En octobre 2019, un incendie se déclare dans la cellule d’un détenu à la prison de La Santé. Les sapeurs-pompiers arrivent rapidement sur les lieux.

Un protocole d’intervention, préétabli entre le SDIS et l’administration pénitentiaire, prévoyait un accès spécifique par la rue Messier, une entrée secondaire permettant une intervention plus rapide au cœur de l’établissement.

Pourtant, ce jour-là, l’accès est refusé aux secours par cette entrée. Le personnel pénitentiaire sur place n’est pas prêt à leur ouvrir. Les pompiers sont contraints de se dérouter vers l’entrée principale, perdant ainsi dix minutes précieuses.

Le 17 avril 2025, le Tribunal administratif de Paris a qualifié ce dysfonctionnement de « défaut dans l’organisation du service », une faute engageant la responsabilité de l’administration. La justice a ordonné une expertise pour déterminer si ce retard de dix minutes a fait perdre à la victime une « perte de chance » réelle de survie.

 

Le « syndrome du plan sur l’étagère » : quand la théorie s’effondre

 

Ce drame est l’incarnation du « syndrome du plan sur l’étagère ». De nombreuses organisations, qu’il s’agisse de mairies, d’entreprises ou d’établissements publics, investissent du temps et des ressources pour rédiger un plan de gestion de crise.

Une fois validé, ce document est souvent archivé, prenant la poussière sur une étagère (physique ou numérique).

  • Il n’est pas diffusé largement.
  • Il n’est pas mis à jour.
  • Il n’est surtout jamais testé.

L’affaire de La Santé démontre que ce plan crée un faux sentiment de sécurité. La procédure a échoué à la première friction réelle : un point de contact et de coordination entre les équipes internes (l’administration pénitentiaire) et les intervenants externes (les sapeurs-pompiers).

 

Les 3 leçons de cet échec pour votre organisation

 

Cet incident, bien que spécifique au milieu carcéral, offre des leçons universelles pour tout dirigeant ou manager.

 

1. Un plan « validé » n’est pas un plan « opérationnel« 

 

La validation administrative d’un document ne garantit en rien son applicabilité sous stress. La préparation à la crise n’est pas une question de bureaucratie, mais de mémoire musculaire organisationnelle.

Cette mémoire ne se construit que d’une seule façon : par des exercices de crise réguliers. C’est l’unique moyen de confronter la théorie du plan à la réalité du terrain. Un exercice, même simple, aurait immédiatement révélé que le personnel de la prison ne savait pas, ou ne pouvait pas, ouvrir l’accès rue Messier dans les délais d’urgence requis.

 

2. La coordination interservices est le maillon faible

 

Une crise s’arrête rarement aux frontières de votre organisation. Elle implique quasi systématiquement des parties prenantes externes : services de secours, préfecture, fournisseurs, autorités de tutelle, ou encore médias.

Le jugement de Paris pointe un « défaut de coordination ». Les pompiers suivaient le plan A (le protocole), tandis que l’administration pénitentiaire improvisait un plan B (refus d’accès). Votre procédure de gestion de crise doit donc explicitement définir :

  • Qui contacte qui ?
  • Par quel canal (un annuaire de crise à jour est vital) ?
  • Quels sont les protocoles d’accueil et d’accès ?
  • Qui prend le lead sur quelle action (ex: le Commandant des Opérations de Secours vs. le directeur du site) ?

 

3. Le facteur humain face à l’urgence

 

Le facteur humain est le cœur du réacteur en gestion de crise. Sous l’effet du stress, de la peur et de l’incertitude, des procédures complexes deviennent inapplicables. Les personnels doivent être formés.

L’enquête sur l’incendie de La Santé a également révélé que les surveillants avaient mis plus de dix minutes à trouver un défibrillateur. Cela démontre un manque de formation global aux procédures d’urgence, bien au-delà du simple plan d’évacuation. Une procédure efficace est une procédure simple, connue et maîtrisée par tous.

 

Comment rendre votre procédure de gestion de crise réellement efficace ?

 

Pour éviter le « syndrome de l’étagère », votre plan doit être un document vivant.

  1. Auditer et Mettre à Jour : Commencez par un audit simple. Les noms et numéros de téléphone dans votre annuaire de crise sont-ils à jour ? Les clés et badges d’accès sont-ils disponibles 24/7 pour les bonnes personnes ?
  2. Tester par des Exercices « sur table » : Réunissez votre cellule de crise et simulez un scénario (ex: une cyberattaque, une crise sociale). Faites-leur dérouler la procédure : qui appelle qui ? Quel est le premier message ?
  3. Tester en « grandeur nature » : Pour des risques majeurs (incendie, accident industriel), organisez des tests impliquant les acteurs externes. C’est le seul moyen de tester les points de jonction (accueil des secours, communication, etc.) qui ont fait défaut à La Santé.
  4. Organiser le Retour d’Expérience (RETEX) : Chaque crise et chaque exercice doit être suivi d’un RETEX formel. L’objectif n’est pas de blâmer, mais d’identifier les défaillances (un numéro erroné, un portail verrouillé, une procédure de communication de crise trop lente) pour les corriger immédiatement.

 

De la procédure à la culture de la préparation

 

Le drame de la prison de La Santé est un rappel brutal que la sécurité, la sûreté et la résilience ne tiennent pas à un document. Elles tiennent à une compétence collective.

Une procédure de gestion de crise n’a de valeur que si elle est appropriée par les équipes, testée dans des conditions réalistes et améliorée en continu. L’enjeu n’est pas seulement juridique, pour éviter une condamnation pour « perte de chance ». Il est avant tout opérationnel et humain : il s’agit de sauver des vies, de protéger les collaborateurs et d’assurer la continuité de l’activité de votre organisation.

Chez CriseHelp, nos experts en gestion de crise ne se contentent pas d’écrire des plans. Ils les rendent opérationnels. Des spécialistes comme Fabien Matras, expert reconnu en sécurité civile et gestion des risques, ou Sébastien Couderc, spécialiste de la protection des organisations, accompagnent vos équipes pour former, tester et garantir que le jour J, votre procédure fonctionne.

Préparez vos équipes avant la crise

Une procédure de crise non testée est un risque majeur. Les experts de CriseHelp organisent des formations et des exercices de crise (sur table ou grandeur nature) adaptés à votre réalité pour transformer vos plans en véritables réflexes opérationnels.

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Nous sommes à votre écoute pour préciser votre besoin en gestion de crise.

Nos experts et consultants indépendants sont en mesure de vous accompagner de A à Z dans l’évaluation de vos risques pour anticiper les crises.

FAQs

Qu'est-ce qu'une procédure de gestion de crise ?

C'est un document opérationnel qui définit le "qui fait quoi, quand et comment" lorsqu'une crise survient. Il inclut la composition de la cellule de crise, l'annuaire d'urgence, les schémas d'alerte, les stratégies de réponse et les protocoles de communication. Son but est de structurer la réponse pour réduire le chaos.

Pourquoi un exercice de crise est-il indispensable ?

L'exercice est le seul moyen de tester si une procédure est réaliste et connue. Il permet d'identifier les failles (ex: problèmes techniques, défaut de coordination, procédure trop complexe) dans un environnement contrôlé, de former les équipes aux bons réflexes et de développer une mémoire musculaire collective pour réagir efficacement sous stress.

Qu'est-ce que la "perte de chance" en droit administratif ?

La "perte de chance" est un préjudice reconnu par la justice. Elle survient lorsqu'une faute (ex: un retard de diagnostic, un défaut d'organisation des secours) a fait perdre à une victime une probabilité, même faible, d'échapper au dommage (ex: décès, aggravation de l'état). L'indemnisation est alors calculée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

Qui doit participer à un exercice de crise ?

Cela dépend de l'objectif. Au minimum, les membres de la cellule de crise (Direction, Communication, RH, Juridique, Métiers). Pour des tests plus poussés, il faut inclure les équipes de terrain (ex: accueil, sécurité, IT) et, idéalement, les parties prenantes externes concernées par le scénario (ex: pompiers, préfecture, assureurs, prestataires clés).