Par Benoît Labalette le 30/11/2025

Sur le papier, tout est propre. Votre organigramme est symétrique, les flux d’information sont linéaires et les responsabilités sont clairement définies dans des cases bleues et grises parfaitement alignées. C’est le plan.

Puis, la crise survient.

Instantanément, la hiérarchie théorique vole en éclats. Les connexions deviennent chaotiques, informelles et multiples. Des nœuds de communication saturent, d’autres se brisent. C’est le terrain.

Entre ces deux états, il existe une force invisible mais dévastatrice que Carl von Clausewitz, célèbre théoricien militaire, a baptisée la « friction ». En gestion de crise, comprendre ce mécanisme n’est pas une option, c’est une condition de survie. Croire que le document écrit est la réalité constitue l’erreur fondamentale qui transforme un incident gérable en catastrophe majeure.

Cet article décrypte pourquoi rien ne se passe jamais comme prévu et comment préparer votre organisation à naviguer dans le chaos du réel.

Plan et terrain

La tyrannie du plan : l’illusion de contrôle

 

La première étape pour maîtriser la friction est d’accepter l’imperfection inhérente à toute planification. Trop d’organisations confondent le plan de gestion de crise avec un script de cinéma que les acteurs suivraient à la lettre. Or, la crise est par nature un événement dynamique, non linéaire et imprévisible.

Le schéma classique d’une organisation (le « plan ») repose sur une structure pyramidale conçue pour la stabilité et l’efficience en temps de paix. À l’inverse, la réalité opérationnelle d’une crise (le « terrain ») ressemble à un réseau neuronal complexe où les interactions se font de pair à pair, souvent en contournant la voie hiérarchique officielle pour gagner du temps.

Ce décalage crée la friction. Elle se manifeste par des retards d’information, des malentendus, des pannes techniques ou des décisions inapplicables. Comme le soulignent souvent nos experts, le fondement de la gestion de crise n’est pas de suivre la procédure aveuglément, mais de l’adapter.

Les 3 moteurs de la friction opérationnelle

 

Pour réduire l’écart entre le plan et le terrain, il faut identifier les grains de sable qui grippent la machine. Ils sont généralement de trois ordres.

1. Le facteur humain et cognitif

 

C’est la variable la plus volatile. Sur le papier, un collaborateur exécute une tâche. Sur le terrain, ce collaborateur est stressé, fatigué, inquiet pour sa famille ou tétanisé par l’enjeu. Le stress en gestion de crise altère les capacités cognitives, réduit le champ de vision et ralentit la prise de décision. De plus, les biais cognitifs entrent en jeu : le biais de confirmation nous pousse à ignorer les signaux qui contredisent notre plan initial, tandis que l’effet de sidération peut paralyser toute une chaîne de commandement.

2. Le brouillard informationnel

 

Dans le plan, l’information remonte du terrain vers la cellule de crise de manière fluide. Dans la réalité, l’information est soit manquante, soit surabondante et contradictoire. C’est le fameux « brouillard de guerre ». Les rumeurs sur les réseaux sociaux se mélangent aux faits avérés, créant une distorsion que les décideurs doivent filtrer en temps réel. Sans une préparation adéquate, la prise de décision en gestion de crise devient un jeu de hasard.

3. La rigidité des procédures

 

Un plan trop rigide est cassant. Si votre procédure exige la signature de trois directeurs pour valider un communiqué, mais que deux d’entre eux sont injoignables, votre plan génère lui-même la friction. L’agilité est l’antidote à la rigidité. Il faut passer d’une logique de conformité (« ai-je suivi la procédure ? ») à une logique d’intention (« ai-je atteint l’objectif ? »).

L'écart critique : théorie vs pratique

Analyse comparative des divergences entre la planification théorique et la réalité opérationnelle en situation dégradée.

Confrontation : le plan (théorie) vs le terrain (friction)
Dimension Dans le "plan" (théorie) Sur le "terrain" (réalité)
Communication Flux verticaux, validés, formels et descendants. Réseaux horizontaux, informels, rumeurs, saturation des canaux.
Prise de décision Rationnelle, basée sur des données complètes et analysées. Intuitive, sous stress, basée sur des informations partielles ou erronées.
Temps Chronologie maîtrisée, séquencée (phases 1, 2, 3). Temps accéléré ou dilaté, urgence permanente, simultanéité des événements.

À retenir — La réussite ne dépend pas de la perfection du plan, mais de la capacité des équipes à l'adapter aux contraintes du terrain (agilité).

Comment réduire la friction ? L’approche CriseHelp

 

On ne supprime jamais totalement la friction, mais on peut la « lubrifier » pour éviter la surchauffe du système. Voici comment transformer vos vulnérabilités en force opérationnelle.

Entraîner pour l’imprévu (train as you fight)

 

Un plan qui reste dans un tiroir est un plan mort. La seule façon de révéler la friction avant le jour J est de la provoquer artificiellement via un exercice de crise. C’est lors des simulations que l’on réalise que l’annuaire de contact n’est pas à jour ou que la salle de crise n’a pas de réseau. L’exercice permet de « casser » le plan théorique pour en construire une version résiliente.

Favoriser la « subsidiarité »

 

Pour contrer la lenteur des remontées d’informations hiérarchiques (le schéma de gauche sur notre image), il faut autoriser une certaine autonomie sur le terrain (le schéma de droite). C’est le principe de subsidiarité : les décisions doivent être prises au niveau le plus proche possible de l’action. Le rôle du niveau stratégique n’est pas de tout gérer, mais de fixer le cap. Cela permet de fluidifier la communication de crise interne et externe.

La culture du RETEX

 

Après chaque incident ou chaque simulation, le RETEX de crise est l’outil indispensable. Il permet de mesurer scientifiquement l’écart entre ce qui devait se passer et ce qui s’est réellement passé. C’est en analysant cet écart que l’on réduit la friction pour la prochaine fois.

Du plan statique à la stratégie dynamique

 

L’image du plan ordonné se transformant en réseau complexe n’est pas un échec de la planification ; c’est la nature même de l’action collective face au danger. Le plan est indispensable pour fournir un langage commun, mais il ne doit jamais devenir une prison.

Les organisations résilientes sont celles qui acceptent la friction, s’y préparent en intégrant le facteur humain, et donnent à leurs équipes la confiance nécessaire pour adapter le plan à la réalité du terrain.

Votre organisation résistera-t-elle à la friction du réel ?

Avoir un plan est une chose, savoir l'appliquer sous stress en est une autre. Chez CriseHelp, nous ne vendons pas seulement des documents, nous construisons votre capacité opérationnelle.

Nos experts, comme Romain Tosello-Orsola (spécialiste de la gestion de crise opérationnelle) ou Laurent de Pierrefeu (expert en stratégie et résilience), vous accompagnent pour tester vos dispositifs face à la réalité.

Ne laissez pas la friction paralyser votre réponse.

Nous sommes à votre écoute pour préciser votre besoin en gestion de crise.

Nos experts et consultants indépendants sont en mesure de vous accompagner de A à Z dans l’évaluation de vos risques pour anticiper les crises.

FAQs

Qu'est-ce que la "friction" selon Clausewitz appliquée à la crise ?

C'est la différence fondamentale entre la stratégie sur le papier et sa réalisation réelle. En gestion de crise, cela désigne l'accumulation d'imprévus mineurs (panne, retard, fatigue, malentendu) qui, combinés, réduisent l'efficacité de l'organisation et freinent l'exécution du plan.

Si le "terrain" est chaotique, à quoi sert le plan ?

Le plan sert de socle commun et de langage partagé. Il permet de ne pas avoir à improviser l'essentiel (qui fait quoi, avec quels moyens) pour pouvoir concentrer son intelligence sur l'imprévu. Comme le disait Eisenhower : « Les plans sont inutiles, mais la planification est indispensable ».

Comment préparer mes équipes à affronter cette friction ?

Par la simulation. Seuls des exercices de crise réalistes, incluant des éléments de surprise ("injects") et de pression temporelle, permettent d'habituer les équipes à fonctionner en mode dégradé et à surmonter la friction organisationnelle sans paniquer.

Quel rôle joue le facteur humain dans la friction ?

Il est central. La peur, le stress, les biais cognitifs et les égos sont les principaux amplificateurs de friction. Une équipe soudée, bien formée et psychologiquement préparée générera beaucoup moins de "frottements" internes qu'une équipe qui découvre la collaboration le jour J.