Une nouvelle étape dans la guerre de l’information a été franchie : les faux sites de médias locaux, créés et pilotés par des officines russes et chinoises, sont désormais plus nombreux que les vrais journaux locaux aux États-Unis. C’est le constat alarmant d’une série de rapports publiés par des organisations de référence comme NewsGuard, Google, VIGINUM et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ces analyses dessinent les contours d’une stratégie d’influence industrialisée et massive, visant à exploiter la confiance des citoyens dans l’information de proximité pour saper les démocraties de l’intérieur. Ces opérations relèvent aussi de l’intelligence économique hostile, cherchant à déstabiliser des marchés ou à nuire à des concurrents occidentaux. De l’utilisation de l’IA pour créer des deepfakes à la coordination avec des services de renseignement, cette menace est devenue systémique. Ce guide décrypte pour vous les acteurs, les méthodes et les enjeux de cette nouvelle forme de crise de désinformation.

faux médias

Le point de bascule : plus de faux journaux locaux que de vrais

 

Le rapport de NewsGuard de juin 2024 marque un tournant historique et glaçant. Pour la première fois, le nombre de faux sites d’information locaux, surnommés « pink slime », a dépassé celui des journaux locaux authentiques encore en activité aux États-Unis.

  • 1 265 faux sites de médias locaux identifiés.
  • 1 213 vrais journaux quotidiens locaux restants.

La conclusion de NewsGuard est sans appel : « les chances sont désormais supérieures à 50-50 qu’un site web prétendant couvrir l’actualité locale soit faux ». Ces sites, souvent générés par l’IA, mélangent des contenus agrégés sans valeur avec des articles partisans, créant une illusion de journalisme local.

 

 

Dans les coulisses de l’influence : les usines à désinformation démasquées

 

Derrière cette prolifération se cachent des réseaux structurés, financés par des États.

 

L’opération chinoise « Glassbridge »

 

Dans un rapport de novembre 2024, le Threat Analysis Group (TAG) de Google a exposé « Glassbridge », un réseau de quatre entreprises chinoises ayant créé des centaines de faux sites d’information. Depuis 2022, Google a bloqué plus de 1 000 sites web liés à cette seule opération. Ces sites mélangent des contenus légitimes copiés avec des narratifs pro-chinois sur des sujets sensibles comme Taïwan ou la COVID-19. Les entreprises identifiées, comme Shanghai Haixun Technology, géraient des centaines de domaines chacune.

 

L’arsenal russe « Storm-1516 »

 

En France, le service VIGINUM a détaillé dans un rapport de mai 2025 le mode opératoire de l’entité russe « Storm-1516 ». Ce réseau, responsable de 77 opérations d’influence depuis août 2023, utilise des techniques sophistiquées. Il est notamment à l’origine des réseaux bien connus comme Doppelgänger (clonage de sites de médias) et Portal Kombat (création de portails de désinformation). Leurs méthodes incluent :

  • La création de deepfakes vidéo et audio générés par l’IA, avec des liens directs vers les services de renseignement militaire russes (GRU).
  • Le recrutement d’acteurs amateurs pour jouer le rôle de faux « lanceurs d’alerte ».
  • Un schéma de diffusion complexe, allant de comptes jetables sur les réseaux sociaux à l’amplification par des médias étrangers rémunérés.
  • L’utilisation de techniques OSINT (Open Source Intelligence) pour identifier les failles informationnelles locales, les sujets de mécontentement exploitables et les influenceurs potentiels à cibler pour la diffusion des narratifs.

 

 

Une menace systémique documentée au plus haut niveau européen

 

Le troisième rapport du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), publié en mars 2025, confirme l’ampleur industrielle de la menace. En 2024, plus de 500 incidents de manipulation de l’information (FIMI) ont été détectés, impliquant 38 000 comptes uniques sur 25 plateformes différentes et ciblant 322 organisations dans 90 pays. Le rapport met en lumière des réseaux comme Doppelgänger et Portal Kombat, qui agissent de manière coordonnée pour déstabiliser les démocraties européennes.

 

 

L’évolution de la menace : IA, ciblage électoral et OSINT défensif

 

Ces opérations ne sont pas statiques ; elles s’adaptent et se perfectionnent en permanence.

  • L’instrumentalisation de l’IA : La Russie utilise des serveurs dédiés à la génération de deepfakes, tandis que la Chine emploie l’IA pour générer du contenu en masse. Pire encore, ces acteurs « empoisonnent » les modèles d’IA en les nourrissant de contenus de désinformation.
  • Le ciblage des élections : Les rapports de VIGINUM documentent des interférences directes dans les élections européennes de juin 2024 et les législatives françaises de juillet 2024. La campagne présidentielle américaine de 2024 est également une cible massive.
  • La riposte par l’OSINT : Face à cette menace, les services étatiques comme VIGINUM et les acteurs privés comme Google TAG ou NewsGuard déploient des capacités OSINT avancées pour cartographier ces réseaux, analyser leurs infrastructures techniques (noms de domaine, hébergeurs), identifier leurs modes opératoires (TTPs) et, dans certains cas, attribuer les opérations aux acteurs étatiques. C’est une véritable cyberguerre informationnelle où l’OSINT est une arme clé des deux côtés.

 

 

Le terreau fertile : l’effondrement de la presse locale

 

Cette prolifération de faux médias est d’autant plus dangereuse qu’elle survient au moment même où la presse locale authentique s’effondre. Aux États-Unis, les journaux locaux disparaissent au rythme de deux par semaine. Cette situation crée un « désert informationnel » dans de nombreux territoires. Les acteurs malveillants n’ont plus qu’à occuper un espace laissé vacant.

 

 

De la fausse information à la guerre économique et informationnelle

 

Nous ne sommes plus face à de simples « fake news ». Nous assistons à l’industrialisation de la manipulation de l’information, menée par des États qui ont compris que la guerre se joue aussi dans nos esprits et sur nos marchés. En ciblant l’échelon local, là où la confiance est la plus forte, ces opérations visent à saper les fondements de nos démocraties, à influencer les opinions sur des sujets économiques stratégiques et à installer une crise de confiance permanente envers les institutions et les médias.

Pour une organisation, cette menace relève directement de l’intelligence économique défensive. Elle peut être une cible directe (campagne de diffamation orchestrée par un concurrent étatique) ou une victime collatérale (déstabilisation de son marché). Dans ce contexte, la veille stratégique, incluant des capacités OSINT, et la capacité à contrer une crise de réputation orchestrée ne sont plus des options, mais des compétences de survie.

Chez CriseHelp, nous sommes spécialisés dans la détection et la gestion de ces crises informationnelles complexes. Nous vous aidons à bâtir une stratégie de résilience pour protéger votre organisation contre la manipulation.

Nous sommes à votre écoute pour préciser votre besoin en gestion de crise.

Nos experts et consultants indépendants sont en mesure de vous accompagner de A à Z dans l’évaluation de vos risques pour anticiper les crises.